L’intégrisme n’a jamais quitté le Sahel Bernard NantetJournaliste et archéologue, spécialiste de l’Afrique .

 

L’intégrisme n’a jamais quitté le Sahel

Bernard NantetJournaliste et archéologue, spécialiste de l’Afrique

Terrorisme – Sahara, désert interdit. Les événements du Mali ont fait resurgir les images anciennes véhiculées par la littérature de voyage, mais assaisonnées aux thèmes de notre époque, parmi lesquels le djihad. Sous cet étendard quelque peu accrocheur, le thème de la guerre sainte refait surface au Sahara.

 

Depuis une dizaine de siècles, il a porté nombre de meneurs à lever des troupes de nomades, de laissés-pour-compte ou de cadets en rupture dans le but de faire la guerre aux mauvais croyants, sinon aux non-croyants, autrement dit aux animistes, aux païens. Le moteur de ces poussées guerrières sous le voile de la religiosité: le contrôle du commerce transsaharien.

 

Commerce de luxe par excellence, car les distances à parcourir et les difficultés à surmonter impliquent le choix de marchandises de faible volume et de grande valeur ajoutée, telles que l’or dès le début, les tissus précieux, et à notre époque, les trafics du crime organisé.

La première grande guerre sainte, celle des Almoravides (XIe s.), a pris pour cible les commerçants musulmans établis au sud du désert pour négocier l’or du Ghana, le plus ancien empire africain connu. Pratiquant un islam peu orthodoxe, proche de celui des Ibadites qui ont choisi de se tenir à l’écart des grands courants du chiisme et du sunnisme, ils furent vite accusés par les nomades de mener une vie dissolue sur leur tas d’or et, pire, de commercer avec les Noirs païens du Ghana.

Réunis sous la bannière d’Abdallah Ibn Yacine, un réformateur revenu du pèlerinage à La Mecque, le comptoir commercial  d’Aoudaghost fut détruit et incendié en 1054:

 

« Ils prirent la ville, violèrent les femmes et regardèrent le fruit de leur pillage comme butin légal » [Al-Bakri, XIe s.]. Ils firent de même avec la capitale du Ghana, ce qui leur assura le contrôle des routes de l’or.

 

Au sud-ouest de l’Algérie

 

Un autre accès de fièvre religieuse se produisit en 1492 dans le Touat, un ensemble d’oasis au cœur du Sahara, aujourd’hui au sud-ouest de l’Algérie. Dans cette immensité commerciale sans maître véritable qu’a constitué le Sahara de tout temps, les juifs du Touat avaient pris une grande importance dans les échanges entre le nord et le sud. Ils étaient intégrés à cette société saharienne très structurée et soumis à des obligations diverses en tant que non musulmans (les dhimmis) mais néanmoins croyants (comme les chrétiens). Les animistes capturés dans le sud étaient employés comme esclaves pour les travaux dans les oasis.

 

Dans la seconde moitié du XVe siècle, un théologien de Tlemcen, Mohammed Abd el Krim El Meghili, en difficulté politique, partit pour le Touat se refaire une autorité dans cette oasis incontournable sur la route du Soudan au Maroc. Se heurtant à la présence des commerçants juifs, il se réclama de sa qualité de théologien pour les accuser de ne pas respecter les normes imposées aux dhimmis (s’effacer sur son passage, par exemple).

Il leur reprochait surtout de vouloir édifier une nouvelle synagogue, symbole de leur bonne santé économique, alors qu’il lorgnait lui-même sur la réorganisation des circuits commerciaux.

 

 

 

 

 

Il s’ensuivit une vive polémique avec les jurisconsultes de la région qui prirent fait et cause pour les juifs du Touat. La dynamique du djihad finit toutefois par l’emporter et les juifs du Touat n’échappèrent au massacre qu’en cherchant asile auprès

du sultan du Maroc. Cette même année (1492) arrivèrent dans le royaume d’autres juifs ainsi que des musulmans chassés d’Espagne.

 

Aujourd’hui, le djihad mené au nord du Mali par Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) et Ansar Eddine, le mouvement islamiste touareg d’Iyad Ag Ghali, se réfèrent à cette même volonté d’un retour à une orthodoxie religieuse, malgré le passé quelque peu sulfureux de certains de leurs leaders.

 

Leurs mobiles profonds ne sont guère différents de ceux qui animaient leurs prédécesseurs sous couvert de religion. Pendant des années, des trafics en tout genre ont fait du Sahara un no man’s land pour des marchandises non « licites » au regard de l’orthodoxie religieuse, même si leurs dirigeants se réclament d’un retour à une observance littérale des préceptes du livre sacré. Quels jurisconsultes et théologiens, qui prônent les humbles vertus du conducteur de caravane d’Arabie, considéreraient que la drogue et la contrebande d’armes et de cigarettes vont de pair avec une conduite de stricte observance?

 

Bernard Nantet

Journaliste et archéologue,

spécialiste de l’Afrique