Pour son bien, il faut laisser son enfant s’ennuyer

Pour son bien, il faut laisser son enfant s’ennuyer

Interview. – L’ennui est souvent perçu comme un sentiment péjoratif. Pourtant, il est nécessaire, voire même indispensable au bon développement des enfants. Décryptage avec une experte.

 

Lefigaro.fr/madame. – Semaines d’école surchargées, vacances au programme millimétré… Les enfants d’aujourd’hui sont-ils trop occupés ?

Claire Leconte. – Nous vivons dans une société où il faut toujours être occupé pour prouver que l’on est «au top». Nous ne pouvons plus nous permettre de «perdre du temps», et c’est une idée que l’on inculque – parfois inconsciemment – à nos enfants.

Par crainte qu’ils s’ennuient, on va les inscrire à une multitude d’activités et les occuper en permanence, y compris avec des écrans qui font office de nounou. Certains parents s’achètent ainsi une certaine paix. C’est un constat que je fais tous les jours. La dernière fois que je me suis rendue dans une école maternelle, j’ai demandé aux enfants présents combien parmi eux avaient une télévision dans leur chambre. Les trois-quarts ont répondu favorablement, et je parle d’enfants d’à peine cinq ans ! Les parents ne sont pas les seuls à blâmer. Dès l’école, les petits sont gavés d’activités et n’ont plus l’habitude d’avoir des distractions simples, comme jouer à la marelle ou rêvasser.

Vous dites justement que l’ennui est indispensable, notamment pour leur bon développement. C’est-à-dire ?
Il faut savoir que dans un premier temps, les enfants se construisent par imitation. Ils reproduisent les gestes qu’ils voient, répètent des mots qu’ils entendent ou des attitudes qu’ils perçoivent. Puis peu à peu, le cerveau va se développer en prêtant attention à l’environnement extérieur. Il ne faut donc surtout pas empêcher les enfants de prendre des moments pour eux afin qu’ils aient le temps d’observer ce monde qui les entoure. C’est la preuve d’une vie interne et surtout, que l’enfant peut s’intéresser à des choses par lui-même, ce qui est absolument fondamental. Plus il sera attentif à son environnement et aux autres, plus il sera respectueux à leur égard.

Dans la pratique, à partir de quel âge doit-on laisser son enfant ne rien faire et comment s’y prend-t-on ?
Dès le plus jeune âge. Plus tôt il y sera habitué, mieux ce sera. Un enfant qui aura pris l’habitude de rester seul trouvera toujours le moyen de s’occuper, ce qui est bénéfique pour lui mais aussi pour ses parents. S’il n’y est pas habitué, ses parents doivent en discuter au préalable avec lui. Dans un premier temps, ils peuvent faire un tri dans les activités qu’il pratique, et éliminer celles qui lui sont imposées. Ensuite, il faut prendre le temps avec lui d’observer le monde extérieur, le jardin, les fleurs, et d’en discuter. C’est un réflexe qu’il finira par intégrer. Il faut pas oublier qu’un enfant ne s’ennuie pas, ce sont ses parents qui ont peur qu’il s’ennuie. Et si l’enfant l’exprime, c’est parce qu’il sait que ses parents vont lui donner un écran pour combler ce «vide». Si ces derniers lui font comprendre que ce moment est pour lui et qu’il peut le prendre pour réfléchir et rêvasser, alors il cessera de se plaindre.

Un enfant ne s’ennuie pas, ce sont ses parents qui ont peur qu’il s’ennuie

Concrètement, quels sont les bienfaits de l’ennui chez l’enfant ?
On a trop souvent tendance à penser qu’il s’agit d’un sentiment péjoratif, lié à la lassitude, à l’inaction. Pourtant, ne rien faire est une activité à part entière ! Il est primordial de prendre du temps pour soi, et cela vaut aussi pour un enfant. C’est l’occasion de faire travailler son imaginaire, sans quoi, il serait vide. Ces moments vont aussi lui permettre d’enrichir sa capacité d’observation, il verra des choses que d’autres ne voient pas, et en grandissant, il développera une perception plus sensible. Il sera aussi plus attentif, et à défaut de tout faire vite, il fera les choses bien. Enfin, ils ont besoin de ces temps pour se poser et souffler. J’observe de plus en plus d’enfants énervés et fatigués. Une hyperactivité liée sans aucun doute à la sollicitation permanente dans laquelle ils vivent.

Quelles sont les conséquences de cette sollicitation ?
Dans ce cas, l’enfant ne saura jamais s’occuper par lui-même. Prendre une décision sera difficile, il aura toujours besoin d’être entouré, il aura beaucoup de difficultés à être seul. De plus, un enfant qui n’apprend pas à réfléchir par lui-même – et à prendre le temps pour cette réflexion – ne se posera jamais la question de savoir ce qu’il aime vraiment faire. Un enfant qui a toujours été ballotté entre diverses activités aura du mal à s’impliquer pleinement dans chacune d’entre elles. Encore plus s’il n’a jamais eu à s’interroger sur ses vrais désirs.